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De l’irrégularité au retour au pays natal : l’histoire de Lamin

De l’irrégularité au retour au pays natal : l’histoire de Lamin

Lorsque Lamin Kanyi quittait la Gambie en mars 2016 à la recherche d’une vie meilleure en Europe, il n’avait aucune idée des dangers qui l’attendaient.

Lamin a grandi sur la côte ouest du pays, dans une grande famille qui avait du mal à joindre les deux bouts. Ses parents ont divorcé alors qu’il n’avait que huit ans et il a été élevé par sa tante. Il a abandonné l’école pour suivre une formation dans le métier de construction avant de rejoindre l’entreprise de commerce du bois de son oncle, puis s’engager dans la police.

C’est à l’époque où il était dans la police qu’il a décidé de prendre le « chemin irrégulier » (back way), un terme familier utilisé dans le pays pour désigner la migration irrégulière en Europe.

Mariama, l’épouse de Lamin, était enceinte de six mois. « En tant que soutien de famille, j’ai décidé de faire le voyage pour améliorer nos conditions de vie. Bien que mon père ait été contre mon choix, j’étais déterminé à partir et à changer notre situation », dit-il.

« Il y avait beaucoup d’autres migrants avec moi », dit Lamin, aujourd’hui agé de 35 ans. « Nous avons payé 14 000 GMD (environ 280 USD) avant de quitter Banjul et de prendre la route à l’arrière d’une camionnette pour traverser le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso et le Niger », a-t-il ajouté.

Deux mois plus tard, Lamin et les autres migrants arrivent la Libye, dernière étape avant l’Eldorado.

Malheureusement, l’histoire de Lamin n’est pas un fait rare. Chaque année, des milliers d’Africains bravent le désert du Sahara à la recherche de meilleures conditions de vie en Afrique du Nord ou en Europe. En 2018, près de 117 000 personnes sont arrivées en Europe par la mer Méditerranée, dont bon nombre venaient d’Afrique de l’Ouest et du Centre.

Les migrants gambiens sont pour la plupart des jeunes hommes âgés de 18 à 35 ans. Comme Lamin, ils entendent parler du chemin irrégulier par des amis qui sont  « arrivés » en Europe. À bien des égards, atteindre l’Europe est encore le signe du succès pour de nombreux jeunes Gambiens.

« J’ai commencé à communiquer avec mes amis qui avaient fait le voyage en Libye et qui avaient réussi à rejoindre l’Italie. Ils voulaient que je parte aussi, car la vie y était meilleure », dit Lamin. Son propre frère cadet, Sulayman, était également parti en Europe. À son arrivée, il a demandé l’asile, mais sa demande a été rejetée.

Malgré cela, Lamin a cédé à l’influence de ses amis en Europe, se retrouvant bloqué dans un pays en proie à un conflit.

Arrivé à Sabha, dans le sud de la Libye, Lamin a été approché par de nombreux « intermédiaires », agissant comme agents pour les passeurs qui organisent des voyages vers la capitale, Tripoli. Pendant trois mois, il a refusé des offres, utilisant plutôt ses économies pour vendre des spaghettis et des cigarettes.

Finalement, Lamin a rencontré un passeur gambien avec qui il partageait un ami commun dans son pays d’origine. À un coût de 7 000 GMD (environ 140 USD), il était en route pour Tripoli, un pas de plus vers sa destination finale.

Arrivé à Tripoli dans un climat d’insécurité politique et de détérioration des conditions socioéconomiques, Lamin a passé deux mois avec d’autres migrants, attendant tous de monter à bord d’une embarcation, dans une maison en état de délabrement gérée par des passeurs. Avec l’argent que lui envoyait sa mère, il a pu obtenir les 30 000 GMD (environ 600 USD) nécessaires pour payer la traversée dans une embarcation surchargée, avec 149 autres migrants.

Les rêves de Lamin se sont rapidement envolés après quatre tentatives avortées de traversée vers l’Italie. Chaque fois, les garde-côtes libyens ont intercepté leur bateau et les ont obligés à faire demi-tour. Il a été arrêté et détenu en prison pendant deux mois.

Après avoir passé plus de six mois en Libye, il essaya de s’échapper avec d’autres détenus et tenta une dernière fois de rejoindre l’Italie. Lors de cette tentative, l’embarcation s’est retrouvée à court de carburant et s’est arrêtée en mer pendant trois jours ; un individu en avait péri avant d’être retrouvé au large des côtes de Tunis par les garde-côtes tunisiens. Ils ont été secourus, certains acheminés à l’hôpital, tandis que Lamin et d’autres ont été conduits dans un centre pour migrants géré par le Croissant-Rouge tunisien.

En un moment, Lamin a dû faire face à un cruel dilemme : tenter une énième fois de rejoindre l’Europe ou rentrer chez lui.

« Au début, je ne voulais pas rentrer chez moi, car ce serait une honte et une déception. Cependant, après trois mois, je me suis rendu compte que je perdais mon temps et que je devais rentrer dans mon pays et tout recommencer à zéro », a expliqué Lamin, faisant allusion à la stigmatisation souvent accablante à laquelle les migrants de retour au pays sont confrontés dans leurs communautés après avoir tenté en vain de rejoindre l’Europe.

Il a contacté l’OIM à Tunis et a demandé une aide au retour volontaire. Il est rentré en Gambie en juillet 2017.

Lamin fait partie des 3 600 Gambiens qui ont bénéficié de l’aide au retour volontaire dans leur pays d’origine fournie dans le cadre de l’Initiative conjointe UE-OIM pour la protection et la réintégration des migrants, lancée en Gambie en novembre 2017 grâce à un financement du Fonds fiduciaire d’urgence de l’Union européenne pour l’Afrique.

L’Initiative conjointe est le premier programme global visant à sauver des vies, à protéger et à aider les migrants le long des principales routes migratoires en Afrique. Elle est mise en œuvre dans 26 pays africains des régions du Sahel & Lac Tchad, de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique du Nord. Le projet soutient le processus de réintégration des migrants de retour grâce à une approche intégrée axée sur les dimensions économiques, sociales et psychologiques et favorise l’inclusion des communautés dans le processus.

En mai 2018, l’OIM Gambie a signé un accord avec EMPAS Poultry Processing Company Ltd, une entreprise locale appartenant à des Gambiens, pour offrir une formation pratique à 64 migrants de retour, en leur dotant de compétences techniques et en leur fournissant des kits de démarrage nécessaires pour la création ou le renforcement d’une microentreprise existante dans l’aviculture.

« J’ai commencé à suivre les séances de conseils pour la réintégration quelques mois après mon retour. J’ai décidé de créer une entreprise avicole, car mon père avait une petite ferme avicole à la maison avant sa retraite. J’ai voulu perpétuer son héritage ». En novembre 2018, Lamin faisait partie des 13 migrants de retour constituant le premier groupe d’apprenants du programme de formation en aviculture. Les kits reçus à la fin de leur formation comprenaient 500 poussins, de la nourriture pour poulets, des médicaments pour la volaille, de l’équipement et des outils pour la construction d’un poulailler.

Toutefois, la réintégration n’est pas sans défis. Lamin se souvient d’être rentré chez lui avec des sentiments mitigés. « Mes parents étaient contre mon retour, car je ne suis pas parvenu à réaliser ce que j’avais prévu ». Maintenant, avec un revenu stable, il espère avoir prouvé à ses parents qu’ils avaient tort.

Trois mois après le début de son activité avicole, Lamin a vendu la première couvée de poulets. « J’ai pu vendre presque tous mes poulets. Ma clientèle a considérablement augmenté ; beaucoup de gens de mon quartier achètent maintenant mes poulets plutôt que ceux importés et vendus au marché », se réjouit Lamin. À l’avenir, il espère voir son entreprise avicole s’agrandir afin de créer des possibilités d’emploi pour les jeunes de sa communauté.

Malgré les rêves brisés de Lamin d’une vie meilleure en Europe, son retour lui a redonné de l’espoir. Il reste convaincu que personne ne devrait mourir en prenant le « chemin clandestin » alors qu’il existe des opportunités exploitables au niveau local pour mener une vie digne.

« Si vous avez l’argent pour financer le voyage en Libye, vous devriez l’investir dans la création d’un moyen de subsistance durable ici. J’ai vu beaucoup d’amis qui sont morts en chemin et d’autres sont toujours portés disparus. C’est une grande tragédie qui ne peut être résolue que si nous croyons en nous-mêmes pour réussir chez nous ».

Par Abdoulie Jammeh, révisé par le Bureau régional de l’OIM pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre