Histoire
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  • Macoumba SANE | Facilitatrice terrain, Sénégal

Plus jeune, Mamadou S*. rêvait de devenir militaire. Doté d’un sens aigu des responsabilités, il aurait voulu servir son pays, mais le destin en a décidé autrement. Au moment d’être recruté par l’armée, il est jugé trop âgé. Mamadou, se tourne alors vers le commerce de produits alimentaires.

Son activité lancée en 2005, fonctionne bien et lui permet de subvenir aux besoins de sa famille. Il mène alors une existence sereine auprès des siens. Jusqu’au jour où sa vie paisible bascule.

Mamadou est victime de trois cambriolages en seulement deux mois. Il commence à faire face à de nombreuses difficultés financières qui semblent insurmontables. En un temps record, les dettes s’accumulent auprès de ses fournisseurs. Il ressent également une forte pression familiale, en tant que soutien de famille. Ainsi, bien que ruiné par des vols à répétition, il doit malgré tout assurer des dépenses quotidiennes. C’est un fardeau particulièrement lourd à porter pour Mamadou. Désemparé, il finit par considérer qu’émigrer à tout prix, est la seule issue pour améliorer ses conditions de vie et celle de sa famille.

C’est ainsi que Mamadou entreprend, en compagnie de son frère, de rallier l’Italie. Les deux frères transitent par le Mali, la Côte d’Ivoire puis la Libye, plus précisément à Dianet qui se situe à la frontière avec le Niger. Le parcours migratoire est semé d’embûches pour Mamadou et ses compagnons de voyage. Les longues heures de marche, la fatigue, la faim et la soif affaiblissent nombres d’entre eux. Son frère est le plus affecté par ces conditions déplorables. Souffrant, il finit par succomber des suites d’une maladie contractée durant le trajet. Cette situation est extrêmement douloureuse pour Mamadou, qui doit enterrer son frère en Libye sans le reste de sa famille. Face à la dépouille de son frère, Mamadou ressent une solitude infinie et se demande alors :

« Cet Eldorado, ces lendemains meilleurs, dont je rêvais, était-ce une utopie, un piège ou un pur mensonge ? ».

Après cette étape extrêmement douloureuse, Mamadou et ses compagnons sont interceptés par la police des frontières algérienne. Arrêtés, dépouillés de leurs biens, leurs téléphones saisis, et leur argent confisqué, ils sont conduits jusqu’à la frontière avec le Niger. Là-bas, la police algérienne les abandonne, et les livre à leur sort, au cœur du désert. Par miracle, Mamadou parvient tant bien que mal à regagner un lieu d’habitation, situé au Niger. Totalement désorienté, il raconte avec émotion son histoire aux gens qu’il rencontre. Touchés par son parcours difficile, mais ne pouvant lui venir en aide, les habitants du village l’orientent vers le centre de l’OIM du Niger. Mamadou rassemble ses dernières forces pour se rendre dans ce centre. Il éprouve une forme de réconfort à l’idée de pouvoir rentrer au pays, auprès des siens, bien que la perte de son frère demeure dans son esprit.

Accueilli par l’équipe de l’OIM, il reçoit une assistance en nature : couverture, médicament, nattes et nourriture. Il bénéficie ensuite d’une aide au retour volontaire pour rentrer au Sénégal. « Une fois au pays, j’ai été bien accueilli par ma famille, ma femme, les parents et les amis. Ils venaient me rendre visite tous les jours à la maison. J’ai retrouvé l’espoir, j’ai surtout compris que je comptais pour beaucoup de personnes.  Je n’ai pas eu de problèmes pour ma réinsertion sociale et économique. »

En plus du soutien de la cellule familiale et communautaire, Mamadou a bénéficié de l’aide à la réintégration fournie par l’OIM. Il a participé aux sessions d’écoute et de parole, au cours desquelles il a eu l’opportunité d’échanger avec d’autres migrants, et a reçu des informations relatives aux opportunités qui existent à Tambacounda.

C’est à ce moment, que j’ai fait la rencontre de Mamadou. En tant que facilitatrice, je l’ai appuyé dans la rédaction de son business plan. Je ne pouvais m’empêcher de penser que si une main lui avait été tendue plus tôt, sa trajectoire aurait pu être différente, et bien des malheurs auraient pu être évités. À mon sens, les entrepreneurs devraient être aidés, à travers des prêts, pour se sortir de mauvaises passes temporaires. D’ailleurs, comme une forme d’évidence, Mamadou a souhaité reprendre l’activité qu’il menait avant son départ : « Le commerce de produit alimentaire marche bien, je ne me plains pas, car cette activité m’a permis de payer toutes les dettes que j’avais avant mon départ pour la migration et avec les recettes, j’arrive à prendre en charge les besoins familiaux. »

Mamadou dans sa boutique où il propose désormais du ciment.

Avec les bénéfices tirés de son commerce, Mamadou a pu investir dans l’achat d’un terrain, et explique : « Je suis vraiment reconnaissant envers l’OIM, grâce à leur appui, je peux voler de mes propres ailes. » En effet, après avoir diversifié les produits qu’il vend, en proposant du ciment, le père de famille envisage désormais d’investir dans la création d’une quincaillerie. Mamadou vit désormais sans avoir à craindre pour son avenir. Son travail lui assure un réel épanouissement économique et personnel.

Très connu et apprécié de ses clients qui l’appellent affectueusement « GUEDEL », le commerçant est devenu une figure de son quartier qui contribue à améliorer la cohésion sociale. Il n’est pas rare qu’il alerte ses clients sur les dangers de la migration « J’adresse ce message aux jeunes et aux parents, le parcours migratoire par la voie irrégulière est un suicide. Rester et exploiter les opportunités du milieu, est la meilleure voie vers un lendemain meilleur ».

* Afin de protéger l’identité des personnes citées, des pseudonymes ont été utilisés. 

Cet article a été écrit par Macoumba SANE, facilitatrice terrain au Sénégal.