Chaque année, des jeunes de la Région de Tambacounda (Sénégal), tentent de rejoindre l’Europe, considérée comme un Eldorado. Omar.C* a été l’un d’entre eux. Son beau sourire ne le quitte jamais, malgré son regard parfois lointain, qui en dit long sur le chemin parcouru. Passé par le Mali, le Niger et la Libye, il a été victime de traite, a failli être enrôlé contre sa volonté dans des groupes djihadistes, et a été jeté en prison comme un malpropre. Malgré son parcours, il a décidé de voir la vie du bon côté pour devenir un vrai leader.

J’ai choisi de vous parler d’Omar parce qu’il a un mental d’acier. En racontant son histoire, je veux donner la parole à ceux qui ont vécu l’expérience migratoire. Ils sont tellement aptes à parler et dissuader les candidats à la migration irrégulière. Est-ce qu’un potentiel migrant aurait envie de vivre l’arnaque, les violences psychologiques, les violences corporelles, la discrimination, la prison, et même la mort ? Et pourtant, tout ceci constitue le lot quotidien de tout migrant.

Après le décès de son père, le désir de partir en Europe augmente de jour en jour pour Omar. Peu lui importent les risques qu’il doit braver. Les difficultés que traverse sa mère pour subvenir aux besoins de la famille et avoir une vie décente, accentuent sa quête de meilleures conditions de vie. Durant cette période, Omar fait la connaissance d’un passeur qui lui promet « la Tour Eiffel ». C’est ainsi, qu’il s’engage, un soir de juillet 2016 dans une aventure périlleuse.

Sa misère commence au Mali, pays frontalier du Sénégal. Il assiste impuissant au dépouillement de ses biens. Son argent est confisqué par un passeur. Omar est ensuite vendu à un Maure de la région de Gao. Le jeune homme est contraint de travailler comme orpailleur la journée. Chaque soir, il est enfermé dans une cage avec d’autres jeunes victimes de cette traite.

Omar se lie d’amitié avec l’un de ses nombreux compagnons de malheur qui est originaire de Gambie. Le jeune homme parvient également à échanger avec leur surveillant. Ce dernier, aide Omar et son ami gambien à s’échapper, dans le but de pouvoir les enrôler dans « une armée ». Les deux amis refusent cette proposition et se mettent à travailler au Niger. Leur objectif est de pouvoir économiser suffisamment pour atteindre la Libye.

Au bout de quelque temps, les deux amis prennent contact auprès d’un passeur nigérien et lui versent toutes leurs économies. Arrivés en Lybie, ils deviennent des victimes de la traite et sont exploités par des riches libyens. Le jeune homme voit une nouvelle fois tous ses espoirs se briser. Il doit travailler dans une ferme maraîchère moyennant une petite somme d’argent. Déterminé à poursuivre son rêve, Omar met de côté son maigre gain dans le but de rallier l’Europe. Après une année de dur labeur, Omar fini par gagner la confiance du trafiquant. Il en profite pour s’échapper. Cette fois, il se blesse gravement à la cheville en escaladant un mur de plus de 10 mètres. Malgré cela, il marche pendant deux longs jours et parvient à échapper à plusieurs reprises à la milice libyenne. Omar trouve finalement refuge chez un migrant Guinéen et décide de traverser la mer Méditerranée pour atteindre l’Europe.

Malheureusement, les rêves d’Omar se brisent encore une fois. La garde côtière le capture et l’envoie dans une prison de Griayana (Libye). Dans ce milieu, il découvre un autre monde, celui de la violence et du non-respect de l’être humain. Il assiste au meurtre de migrants, à des viols et survit à la famine. L’insécurité est effroyable pour ce jeune qui ne connaissait que son village natal. Il fait face au quotidien de tous ces jeunes partis à la recherche d’une vie meilleure, un quotidien fait d’injures, d’arnaque, de séquestration, de racisme, de torture, et de toute sorte de violences.

Un autre migrant sénégalais emprisonné, lui parle alors de l’assistance au retour proposé par l’OIM. Omar entreprend les démarches nécessaires pour un retour dans sa communauté, dans son cercle de soutien, dans sa zone de confort. L’attente est insupportable pour ce jeune homme qui a connu entre autres, la violence, la maltraitance, l’exploitation, la torture. Il a le sentiment d’être devenu comme un animal et de n’avoir plus aucune valeur.

Le jour de son rapatriement, saisi par l’émotion, il manque de s’évanouir en foulant le sol sénégalais. Son retour dans son village est comme une renaissance pour lui, un moment de pur bonheur. Depuis, il ne cesse de remercier le ciel de lui avoir donné la vie sauve.

Après avoir retrouvé la quiétude de l’esprit, Omar décide d’exploiter les opportunités offertes dans sa communauté natale afin de bâtir une nouvelle existence : « En 2019, j’ai reçu un coup de fil d’un agent de l’OIM pour m’informer d’une formation en entreprenariat et développement personnel, c’était très intéressant pour moi, et j’avais de nouveau retrouvé l’espoir de réaliser mon projet personnel et professionnel. » Après la formation, Omar perçoit une assistance économique, qui correspond à 1000 euros de matériels agricoles et semences. Il aménage son périmètre et se lance dans le maraîchage. Faisant partie des premiers migrants de la région à disposer d’une réintégration dans ce domaine, il réalise un coup de maître en faisant de beaux bénéfices grâce à ses légumes bios.

Le périmètre maraîcher d’un hectare qu'Omar exploite depuis son retour.

Conscient des opportunités qu’offre son activité, Omar décide d’impliquer ses pairs et les membres de la communauté dans son activité. Il travaille avec 3 groupements de femmes et de jeunes dans son village. Il participe ainsi au développement de sa localité en créant des emplois. Omar a noué un partenariat solide avec les autorités locales qui le soutiennent. D’ailleurs, c’est grâce à cette collaboration qu’il a bénéficié d’une bourse pour suivre une formation en pâtisserie au royaume chérifien du Maroc.                                  

Omar est un entrepreneur qui doit son succès à sa capacité de prendre des risques en diversifiant ses activités. Il a ainsi investi dans le commerce de produits cosmétiques et le lavage de motos. Cette activité fonctionne très bien car il n’a aucun concurrent dans sa zone. Il a également fait construire une maison familiale qui dispose d’un poulailler et élève des moutons pour les revendre à l’approche de la Tabaski. Tous ces investissements, lui ont permis de faire face aux difficultés rencontrées cette année dans le maraîchage. En effet, son périmètre a subi les effets néfastes du changement climatique, le village est resté plus de trois mois sans qu’une goutte d’eau ne tombe. Toutes les récoltes de cette année ont donc été perdues, mais le jeune homme n’est pas désespéré pour autant.

Le lavage de motos permet à Omar de diversifier ses sources de revenus.

La force d’Omar réside dans sa capacité à toujours aller de l’avant. Aujourd’hui, il ambitionne de former, des migrants de retour à devenir boulanger avec l’appui de l’OIM. Afin d’épauler Omar dans ses projets, l’OIM l’a mis en relation avec des partenaires pour un soutien complémentaire en renforcement de capacité, appui financier et matériel. Ainsi, l’ANPEJ a procédé à un renforcement de capacité sur les sujets suivants : développement personnel, technique de rédaction de CV et technique de recherche d’emploi. Par ailleurs VIS et GIZ l’ont également soutenu dans les domaines de l’élevage et de l’agriculture par l’octroi d’intrants et de petits matériels pour améliorer ses activités. Très ambitieux Omar souhaite désormais acheter un tracteur et agrandir son périmètre. Il envisage de mettre en place une grande unité de transformation des légumes bio cultivés dans son périmètre et évoluer dans la transformation de fruits locaux.

Omar a connu d’énormes succès dans sa réintégration. Ses proches sont particulièrement fières de ce jeune père responsable et très investi dans la prise en charge familiale. Omar est également devenu un modèle de réussite dans son village. Il a permis de créer des emplois qui assurent aux jeunes et aux femmes une autonomie financière. Au sein de sa communauté, il parraine souvent des grands événements. Pour autant, il garde la tête sur les épaules et ne perd pas de vue ses objectifs. Omar fait aujourd’hui partie de ces jeunes, absolument convaincus qu’il est possible de s’accomplir dans nos terroirs, sans risquer sa vie dans les profondeurs des océans. Son plus grand rêve, à présent est de devenir un entrepreneur de renommée nationale et internationale : « Désormais, pour moi, aller en Europe sera juste pour signer des contrats avec des partenaires et revenir au pays gérer mon business ! »

* Afin de protéger l’identité des personnes citées, des pseudonymes ont été utilisés.

Cet article a été écrit par Mame Lolly Faye, facilitatrice terrain à l’OIM.