Deux ans après la pandémie de COVID-19, les communautés gambiennes se remettent de la crise économique et sociale résultant des restrictions liées à la pandémie et de la fermeture des frontières. Bien que ces mesures aient permis de prévenir la propagation du virus, elles ont également eu un impact négatif sur les marchés locaux et les moyens de subsistance, notamment chez les commerçants qui se déplacent aux frontières. En ce mois de la femme, alors que nous jetons un regard rétrospectif sur la façon dont deux années de pandémie ont affecté les femmes en situation marginale, nous partageons l’histoire de quatre femmes gambiennes qui voient le bout du tunnel.

Comme bon nombre de Gambiens vivant dans des communautés côtières, où des pirogues de pêche colorés bordent la plage et où les pêcheurs rapiècent leurs filets, Fatou a toujours compté sur la vente de poisson cru comme principale source de revenus. Dans l’espoir de gagner plus, elle a cherché de nouveaux marchés en vendant ses produits à des commerçants sénégalais, car les bénéfices réalisés par le commerce au sein de sa communauté de Kartong ne suffisaient pas à couvrir ses dépenses quotidiennes. «Le commerce marchait bien; les Sénégalais aiment la façon dont nous cuisinons notre poisson», souligne-t-elle, tout en fumant un vivaneau.

Fatou fait partie de ces milliers de commerçantes transfrontalières informelles qui gagnent leur vie en effectuant des trajets quotidiens entre la frontière gambienne et sénégalaise, extrêmement poreuse et dépourvue d’infrastructures, avec des postes frontière sans patrouille.

En Afrique de l’Ouest et du Centre, le commerce transfrontalier informel des femmes représente plus de 60 % du produit intérieur brut (PIB) des pays. Bien qu’il puisse constituer une source vitale d’emplois et de moyens de subsistance pour les femmes ayant de faibles revenus et peu qualifiées, celles-ci deviennent très vulnérables dans des contextes où la mobilité est restreinte.

Les moyens de subsistance des femmes qui vendent du poisson à la frontière ont été lourdement affectés par la fermeture des frontières. OIM 2022/Alessandro Lira

Pour Fatou, l’apparition du coronavirus a tout changé. La Gambie a fermé ses frontières en mars 2020, alors que les marchés publics avaient des capacités limitées. Fatou et ses collègues commerçantes ne pouvaient plus rencontrer d’acheteurs sénégalais. «Nous avions du poisson, mais personne pour les acheter, alors nous avons dû en jeter beaucoup, car nous n’avions pas de glace pour les conserver», déplore-t-elle. «Le ralentissement des activités commerciales a été une grosse perte pour toutes les femmes du village».

L’impact des restrictions a été ressenti dans plusieurs secteurs, et pas seulement dans celui de la pêche. À quelques pas du centre de pêche se trouve le restaurant « Baobab » de Nyima, qu’elle n’a rouvert que récemment et qui est stratégiquement situé sur la rive où les Sénégalais traversent le fleuve avec les pirogues traditionnelles. Nyima raconte une histoire similaire : «Pendant la pandémie, la plupart d’entre nous ne travaillaient pas. Nous nous soutenions mutuellement en cultivant des légumes et en agrandissant notre jardin communautaire». Malgré ces efforts, il est devenu difficile pour elle de payer la scolarité de ses enfants - trois de ses huit enfants ont dû abandonner l’école.

Chez les femmes de Giboro, à 50 kilomètres à l’intérieur du pays, l’impact de la COVID-19 n’a pas été différent, à l’est de la côte atlantique. «En tant que veuve, j’étais très inquiète lorsqu’ils ont fermé la frontière et que notre commerce s’est effondré», indique Oumie, qui vendait des sandwichs et des jus de fruits aux voyageurs qui traversaient Giboro, l’un des postes-frontière officiels du pays. «J’étais également inquiète pour mes enfants, car je voulais éviter qu’ils ne contractent le virus», ajoute une amie proche, Jaraitou, qui tient un stand de fruits et de jus de fruits à côté de celui d’Oumie.

Le restaurant de Nyima sert principalement les voyageurs qui se déplacent le long d’une frontière fluviale animée. © OIM 2022/Alessandro Lira

Toutes ces femmes avaient fondé leur vie sur le commerce transfrontalier. Elles ont été lourdement affectées par les conséquences de la pandémie. Aujourd’hui, elles reprennent leur vie en main après avoir reçu une subvention de 45 000 GMD (environ 850 USD) de la part de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans le cadre de son soutien aux efforts de redressement nationaux face à la COVID-19.

En août 2021, l’OIM a mené une évaluation rapide de l’impact de la COVID-19 sur les commerçantes transfrontalières informelles des communautés frontalières gambiennes. « L’évaluation a révélé que 83 % des personnes interrogées ont fait part d’une diminution du revenu familial depuis l’apparition du virus, tandis que 75 % ont exprimé un soutien financier direct comme leur besoin le plus urgent », explique Stephen Matete, responsable du programme de gestion de l’immigration et des frontières de l’OIM en Gambie. « Dans un certain nombre de communautés frontalières, nous avons également constaté des perturbations dans l’approvisionnement en produits de base, entraînant une augmentation et une fluctuation des prix des marchandises. Les ménages dirigés par des femmes, en particulier, étaient plus vulnérables à ces changements ».

Deux ans après le début de la pandémie, les communautés retrouvent un sentiment de retour à la normale et les femmes reprennent espoir. « Ce soutien est arrivé à point nommé, car nous l’avons reçu juste au moment où le commerce transfrontalier reprend », indique Oumie, qui cherche actuellement à développer son entreprise. « Depuis que j’ai reçu cette aide, j’ai pu investir dans des produits tels que l’huile, le riz, la farine et les fruits pour améliorer mon activité. J’ai épargné le reste de l’argent pour subvenir aux besoins de ma famille. J’espère ne plus jamais connaître une telle crise ».

Après la levée des restrictions commerciales, Oumie est revenue vendre ses produits aux voyageurs qui traversent la frontière de Giboro. OIM 2022/Alessandro Lira

Jaraitou utilise sa subvention pour rembourser les prêts qu’elle a contractés au cours des deux dernières années, dans l’espoir de renvoyer ses enfants à l’école. Elle a réussi à installer l’électricité dans son petit magasin où elle stocke les articles qu’elle vend à la frontière. « Avant de recevoir la subvention, je devais acheter des blocs de glace dans les villages voisins, mais maintenant j’ai mon propre réfrigérateur pour conserver les produits au froid ».

Les entreprises de Nyima et de Fatou à Kartong ont également commencé à s’améliorer. Grâce à sa subvention, Nyima a pu rouvrir son restaurant, où les commerçants reviennent en masse pour son « bènn tchin » (un plat local populaire composé de riz, de légumes et de viande cuits ensemble), qu’elle affirme être la meilleure de la ville. « Le restaurant marche tellement bien maintenant que j’ai embauché deux personnes pour m’aider ».

Pendant ce temps, Fatou travaille désormais de plus longues heures dans ses activités de pêche. « J’ai réussi à acheter plus de poisson cru, et je travaille tous les jours jusqu’à 20 h pour le préparer pour les clients. J’ai également utilisé une partie de la subvention pour terminer la construction de ma maison et réparer le toit de l’endroit où nous fumons le poisson ».

Jaraitou espère pouvoir développer son entreprise grâce à la subvention qu’elle a reçue. © OIM 2022/Alessandro Lira

Au total, 81 commerçantes transfrontalières gambiennes ont bénéficié d’une subvention en espèces, avec le soutien financier des gouvernements japonais et suisse. Ces 81 femmes ont été sélectionnées sur la base d’une évaluation rapide menée dans 26 communautés frontalières, sur la base d’une série de critères de vulnérabilité approuvés par un comité dirigé par le Ministère du Commerce et le Département de l’Immigration de Gambie. Le type d’aide a été déterminé par une évaluation des défis et des stratégies de survie des commerçantes.

L’aide s’appuie sur les engagements précédents de l’OIM avec les commerçantes transfrontalières informelles remontant à 2019, où elles ont été engagées dans le cadre des efforts de sensibilisation à la migration irrégulière. Notant la contribution significative de ce groupe au PIB dans les régions, l’OIM a souligné le rôle qu’elles peuvent jouer dans la promotion d’alternatives à la migration irrégulière.

Les restrictions liées à la pandémie touchant à leur fin, Fatou, Jaraitou, Nyima et Oumie se tournent maintenant vers la reconstruction de leurs communautés. À Giboro, la pandémie a rapproché les commerçantes transfrontalières. « Le village n’avait pas de marché avant la pandémie, mais nous avons uni nos forces pour stocker nos produits et en créer un. Maintenant, nous avons des marchandises disponibles sans avoir à parcourir de longues distances », s’exclame Jaraitou.

« Les deux dernières années ont été particulièrement difficiles pour nous, mais une chose que nous avons apprise, c’est de s’unir pour se soutenir mutuellement », dit Fatou. « Tout est possible avec de l’engagement et de la patience ».

Cette histoire a été rédigée par Alessandro Lira, responsable de la communication pour le développement de l’OIM en Gambie.

SDG 8 - TRAVAIL DÉCENT ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE